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CXXV


Le lendemain, de bonne heure, j’entendis Geneviève aller, venir, appeler les poules, flatter le chien, lâcher la chèvre, siffler les oiseaux, arroser les pots de fleurs, bêcher les laitues, épousseter les tables, cirer l’armoire, répondre à la porte, causer avec les passants, comme à l’ordinaire. C’était le jour de la vente, cependant. Elle avait le cœur bien gros de voir s’en aller ici et là, à l’enchère, dans la petite cour, tous les objets de ce pauvre mobilier qui faisait pour ainsi dire partie de sa vie. Heureusement cela ne fut pas long : avant dix heures du matin, tout était enlevé par les voisins, qui voulaient tous avoir à tout prix quelque chose qui eût appartenu à leur ami : l’un le bois de lit, l’autre la table, celui-ci l’écritoire, celui-là le crucifix de cuivre, les femmes une poule, les jeunes filles un chapelet. La mère Cyprien acheta la chèvre, que Geneviève lui recommanda sur son âme. J’achetai pour moi le chien et pour Geneviève les oiseaux. Elle pleura bien à chaque chose qu’on adjugeait et qu’on emportait de la cour. Quand tout fut vide, nous rentrâmes tristement, elle et moi, sans chaises pour nous asseoir. Les murs nous regardaient et nous disaient : Voilà ce que c’est qu’une maison qui contient, quand elle est remplie, tant d’amour, de bonheur et de douleurs de l’homme : quatre pierres liées par un peu de chaux et recouvertes de quatre tuiles !

« Ce que c’est que de nous ! s’écriait Geneviève en touchant ces murs nus et couverts, derrière les meubles absents, de poussière noirâtre et de toiles d’araignée. Est-ce la peine de s’enraciner à cela ? Autant ne vaut-il pas qua-