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elle. Celui qui m’a menée par la main, de mon cercueil dans la neige à l’étable chaude de la mère Cyprien, saura bien me conduire encore où il fera bon pour moi. N’y a-t-il pas encore des étables dans la montagne ? Et n’y suis-je pas connue et aimée ? Je puis m’en vanter. Il y a bien des braves gens qui me garderont et me nourriront pour mes sarclages au printemps, pour mes glanes l’été, pour mes quenouilles filées l’hiver. Je ne demande que mon nécessaire, voyez-vous ; ça n’est pas beaucoup, et le monde en ce pays est généreux. Ne pensez pas à moi. Et puis, si je deviens infirme, je connais les sœurs de Grenoble ; elles me feront bien avoir un lit à l’hospice. En faut-il plus pour mourir ?

« — Oh ! lui dis-je, j’espère bien que, toutes les petites dettes payées, il restera pour vous un petit pécule sur le prix du mobilier de mon pauvre ami, et je vous prierai de l’accepter en mémoire de lui et en souvenir de moi.

« — Ah ! monsieur, me répondit-elle, ne pensez donc pas à moi ; le bon Dieu n’y a-t-il pas toujours pensé, et n’y pensera-t-il pas bien encore jusqu’à ce qu’on me couche ici sous l’herbe de Cyprien et de sa femme, aux pieds de mon pauvre maître, dans le cimetière ? Il y a des lits faits pour tout le monde dans la dernière hôtellerie du bon Dieu ! Le tout est d’y arriver avec une bonne conscience et sans regrets.

« — Et puis, tenez, monsieur, ajouta-t-elle en se levant vivement de sa chaise et en tirant de la caisse noire du tourne-broche un livre de messe froissé, usé et enfumé, qu’elle ouvrit à une page marquée par un morceau de papier plié en quatre, tenez, je vais vous dire une chose encore qui m’a toujours soutenue dans ma condition.