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nait malheureusement en plein sur ma tête, comme si le bon Dieu eût voulu me faire rougir jusque devant le feu du ciel.


CXIII


« — C’est Geneviève, la marchande tailleuse de Voiron, dit la jeune femme à ceux qui entraient. Auriez-vous jamais cru voir une demoiselle si riche et si estimée comme vous la voyez là ? ajouta-t-elle en leur montrant du geste ma robe en pièces, mes épaules découvertes, mes cheveux remplis d’herbe sèche et mes pieds nus. Ce que c’est que de nous ! »

« À ce nom de Geneviève, tous les visages prirent une expression sévère et rude, personne ne dit rien ni ne fit un mouvement, excepté Cyprien, qui se retourna comme si on l’avait tiré par son habit, et qui se mit le visage contre le mur, les deux mains sur ses joues, pour cacher la douleur qu’il ressentait en me voyant ainsi.

« — Oui, ce que c’est que de nous, reprit enfin la vieille femme, répondant longtemps après l’exclamation de sa belle-fille : ce que c’est que de nous quand Dieu nous abandonne, et qu’après avoir trompé longtemps le prochain on découvre que nous ne sommes pas ce que nous paraissons… et on nous jette sur le mépris comme une fleur de mauvaise odeur sur le fumier ! »

« Je ne répondis rien.

« — Dire, s’écria le vieux, qu’une fille qui était assez honnête pour ne pas vouloir voler douze sous à un pauvre homme, a bien voulu vendre son honneur pour rien à des militaires, et le nom et la vie à son enfant ! Car