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t’aimait, puisqu’il est en tout pareil à elle, et qu’elle t’aimait comme jamais sœur n’aima sa sœur jumelle ? Son frère, qui respire, qui vit, qui pense, qui sent exactement et sous les mêmes traits sous lesquels elle respirait, vivait, pensait, sentait elle-même ? « Son frère, dans le cœur de qui, si nous nous rencontrions jamais, je retrouverais les mêmes prédilections que je regrette en elle et que nul autre être sur la terre ne pourrait me rendre que lui !

« Cette pensée, me disait Régina, entra dans mon âme aussi soudainement qu’entre un rayon de soleil dans une chambre pleine de ténèbres et dont on ouvre les volets. Elle fit apparaître en moi mille choses que je croyais mortes et ensevelies avec Clotilde. Cela me sembla tellement un miracle obtenu par l’intercession de mon amie, que je m’inclinai de nouveau jusqu’à terre pour remercier Dieu et ses anges, et que je baisai le pavé d’où cette belle apparition de son frère me semblait être sortie pour moi. C’était comme une résurrection de ma tendresse sous une autre forme, sous un autre être dont j’espérais être aimée, et que j’allais moi-même pouvoir aimer encore autant que la première.

« Ma grand’mère en sortant me vit tellement rayonnante et transfigurée, qu’elle me demanda ce que j’avais de nouveau dans l’âme. Je ne lui dis pas ce que j’avais rêvé, mais je lui dis que j’avais tant prié que les anges m’avaient consolée. Nous allâmes ce soir-là jusque sur le rivage de la mer à Bagnoli, de l’autre côté de la grotte du Pausilippe, puis au théâtre Saint-Charles ; ici, chaque murmure de la vague ; là, chaque note de la musique semblait me rapporter l’apparition, la voix, les chuchotements des lèvres du frère de celle que j’aimais tant. Oh ! combien j’aurais donné pour le voir ! Je cherchais de loge en loge et dans les nombreuses têtes tournées vers moi de