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les branches des sapins. Ils couvraient la terre d’un linceul qui faisait que toutes les vallées, toutes les montagnes, tous les champs et tous les chemins se ressemblaient. Je ne reconnaissais les champs qu’aux traces que les petits oiseaux, les chevreuils et les fièvres dessinent avec leurs pattes sur le manteau des blés verts ; je ne retrouvais les sentiers qu’aux creux inégaux et profonds que le pied sûr des mulets laisse dans la neige, tant que le vent, qui la herse pendant la nuit, ne les a pas tout à fait effacés. Quelquefois je me trompais et je m’engloutissais à moitié dans cette poussière blanche qui comblait les ravins ; mais les branches de houx et d’épines-vinettes qui s’élevaient au-dessus me retenaient, et, grâce à Dieu, il ne m’arriva pas d’autre malheur que de perdre mes deux souliers. Eh bien, que je me dis en me ramassant, tu es bien née les pieds nus, n’est-ce pas ? tu peux bien vivre de même. » Et je reprenais courage en me disant : « La neige fondra ; et, après avoir marché pieds nus sur la glace, tu marcheras pieds nus sur l’herbe tendre et sur les fleurs du printemps. La vie est comme ça ; il faut la prendre comme le bon Dieu l’a faite ; de la critiquer, ça ne sert à rien qu’à vous faire du mauvais sang ; il vaut mieux regarder en haut qu’à ses pieds, au moins quelquefois on voit le soleil ou une étoile. Allons. » Et j’allais, monsieur.

« — Bonne Geneviève ! lui-dis-je, que vous aviez de résignation et de courage ! »

Et je m’arrêtai pour la regarder avec admiration, tout ému des paroles de cette sainte fille. Elle baissa les yeux et garda le silence, et elle ne reprit que le lendemain, à l’Angelus du soir, la fin du récit.