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dot ? je n’avais que mes trente-trois francs et mon tablier, où étaient roulées mes chemises.

« Mais je me trompe, monsieur, je croyais les avoir ; je ne les avais plus. Une mauvaise femme, qui était en convalescence de la maladie des prisons dans le lit à côté du mien, voyant que je regardais souvent mon paquet sur ma chaise, m’avait dit : « Défiez-vous ; on ne sait pas à côté de qui on couche dans ces auberges du bon Dieu. Je ne sais pas si vous avez une bourse ; mais si vous en avez une, cachez-la bien. » Je croyais, monsieur, qu’elle parlait par intérêt pour moi, mais c’était à mauvaise intention, elle voulait savoir si j’avais de l’argent. Je retirai de mon paquet le bas dans lequel j’avais mis mes trente-trois francs, et je le cachai devant elle sous mon traversin ; mais la fièvre me prit si fort, que je ne pensai plus à mon pauvre butin.

« Cette femme quitta l’hospice pendant ma maladie, et, quand je sortis moi-même, je n’avais plus rien ! Elle m’avait volée pendant ma fièvre. Je n’avais plus que deux pièces de douze sous dans la poche de mon tablier ! Quel désespoir de rentrer ainsi dans mon pays, après une absence de plusieurs années, et de faire un tel affront à ma famille ! Je ne pus pas m’y résoudre. J’achetai du pain ; je demandai ma route aux passants, et je m’acheminai lentement, par les villages, vers Crémieux, Bourgoing, la Tour-du-Pin. Partout j’offris mes services, et partout je fus refusée. Je vécus environ quinze jours sur les grands chemins, vendant tous mes pauvres effets un par un pour payer mon lit et mon pain dans les auberges des faubourgs ou des paroisses ; mais c’était la morte saison : il n’y avait ni cocons à soigner, ni foin à faner, ni soie à dévider, ni blé à sarcler pour une pauvre fille comme moi dans la contrée. J’avais beau rôder de porte en porte, autour du pays de mon père, on disait :