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des cris comme si on lui avait bu l’or dans sa bourse. J’accours, je chasse l’agneau, je demande excuse à mes maîtres pour la bête, je dis que c’est ma faute d’avoir laissé le lait par terre ; rien n’y fait. Le mauvais œil recommence contre l’animal et contre moi. On nous épiait comme deux voleurs, on mesurait le pain, on demandait compte des épluchures ; on disait que je donnais à l’agneau les tronçons de salade qui étaient pour la vache ; plus de paix pour moi, enfin ! J’en pleurais quelquefois en caressant la pauvre bête, qui semblait comprendre et qui me regardait toute triste, sa tête sur mon tablier et ses beaux yeux si doux sur les miens.


XCII


« Nous touchions à la Saint-Martin. Madame et monsieur ne cessaient pas de marmotter que je négligeais les intérêts des maîtres pour les intérêts des bêtes ; que j’avais le cœur trop bon ; que je me laissais conduire par le chien et par l’agneau ; qu’il fallait tenir l’un à la chaîne tout le jour et vendre l’autre avant que la saison des foires fût passée, après quoi on n’en trouverait rien, ou l’on perdrait dessus. Je proposai de l’acheter pour moi, et de laisser tout mon gage de l’année pour mon pauvre ami. Mais on dit que ce serait encore un mauvais marché, parce que je lui laissais faire du dégât dans le jardin et dans la cuisine. Alors ils firent une conspiration ; et, tenez, ça me fait encore comme un frisson de vous le dire.