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LXXXVIII


« Il y avait dans l’étable, avec le cheval que je pansais, deux ou trois brebis qui tondaient le pré pendant le jour quand les toiles étaient repliées. Le maître et la dame ne voulaient pas perdre le peu d’herbe qui poussait, à moitié pourrie, sous le chanvre humide. On les vendait avec leurs petits, à l’entrée de l’hiver, au boucher, après les avoir tondues pour la laine et pour n’avoir pas la dépense de les nourrir dans la morte saison.

« Une des brebis mit bas à la Saint-Martin, qui est le 11 novembre, et la mère ayant été vendue huit jours après pour être tuée, on ne put pas vendre son fruit avec elle, et le petit me resta. Je lui donnai du lait de la vache dans le creux de ma main, et je l’élevai comme on élève un enfant dont la nourrice a tari. Ce pauvre petit animal s’attacha à moi, monsieur, comme une personne. Quand il n’était pas autour de moi, à l’étable, dans la cour ou dans le jardin, il bêlait toujours ; tellement que, pour le faire taire, j’étais obligée de le laisser entrer avec moi à la cuisine, où il se couchait à côté du chien, entre ses jambes, au coin du feu ; il n’avait de paix qu’auprès de moi et du chien. Le chien s’y était aussi tellement attaché, qu’il aboyait dans sa loge jusqu’à ce que je lui eusse mené l’agneau. Il lui faisait place sur la paille dans sa niche en pierre, et ces deux animaux jouaient ou dormaient ensemble que ça faisait plaisir et compassion à voir.

« Faut-il vous l’avouer, monsieur, quand mon feu était recouvert sous la cendre, et que les maîtres étaient dehors, j’y allais souvent aussi moi-même, dans la niche, assise