Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.

leur de quitter pour longtemps son amie malade. On lui promit que l’absence ne serait pas longue, que le mariage serait ajourné à deux ou trois ans de là ; elle fut enlevée, presque de force, par la comtesse Livia, par ses femmes et par sa nourrice. Les portes du couvent se refermèrent sur la pauvre Clotilde. Sa cellule lui parut une nuit funèbre, une tombe anticipée, un silence éternel, aussitôt que le rayon, la vie et la voix de Régina en eurent disparu. Aux premiers jours de novembre sa langueur redoubla, la fièvre la prit, ses joues se colorèrent pour la première fois des teintes du soleil couchant sur les feuilles transies du cerisier ; elle expira en appelant son amie et son frère. J’ai vu sa tombe, avec ce nom français dépaysé dans la mort, au milieu de tous ces noms de religieuses ou de novices de l’État romain.


XXI


Régina, à qui on avait voulu épargner ce spectacle et ce désespoir, ne fut instruite que peu à peu, et longtemps après qu’elle n’était plus, de la mort de sa chère Clotilde. La fougue de sa douleur éclata en cris et en sanglots qui firent craindre pour ses jours. La première explosion de la première douleur, dans une âme où tout sentiment était passion, faillit emporter la vie elle-même. Sa grand’mère fut obligée de l’envoyer à Naples pour contraindre ses yeux et son âme à se distraire forcément d’une seule pensée par la diversité des aspects et par l’agitation des séjours et des heures ; mais elle ne vit rien que l’image de Clotilde entre elle et toute la nature. Son linceul était étendu sur la terre et sur la mer. Le monde entier ne con-