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et elle signa. Ça n’était pas bien écrit ni sur du papier bien propre, mais elle l’écrivit de bon cœur, et même, quand ça fut fini, elle alla à son armoire et elle me força d’accepter quinze francs en petite monnaie qu’il y avait dans un de ses meilleurs mouchoirs de cou pour me présenter avec décence dans les maisons. « Vous me rendrez cela quand vous aurez économisé sur vos gages, mam’selle Geneviève, » me dit-elle. Je le lui dois encore, monsieur. Mais elle me dit aussi : « Si vous ne pouvez pas me le rendre, eh bien, vous me le rendrez en paradis ! »


LXXXVI


« Ma sœur de père me donna aussi quelques nippes et quelques pièces de monnaie pour mon voyage, et je partis pour chercher une place à Grenoble. La sage-femme m’avait recommandée là à une de ses amies qui exerçait la même profession qu’elle à Voiron. Je servis là sans gages pendant quelques semaines ; mais la profession de cette femme, la vue des femmes en mal d’enfant, et les cris des nourrissons dans la maison me rappelaient tellement et toujours ma pauvre sœur et l’origine de notre malheur, que je ne pouvais pas m’y accoutumer. Il fallut sortir, bon gré, mal gré, car je ne faisais que pleurer et je tombais malade. Une pauvre bourgeoise, veuve d’un épicier, qui avait une jeune demoiselle de seize ans, me prit pour faire la cuisine et les lits, et pour enseigner la dentelle à sa fille. J’avais dix écus de gages par an, douze aunes de toile et deux tabliers au jour de l’an. La mère était honnête, mais un peu regardante ; elle m’accompagnait elle-même au marché pour voir si je marchandais bien, et pour s’assurer