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n’étais pas pervers ; non : l’adieu, la nuit et le désespoir de nous quitter nous ont enivrés… Je l’ai épousée secrètement devant un prêtre de Savoie… Fatale nuit !… il faudra envoyer l’enfant à… »

« La mort lui a coupé la parole. Voici une boucle de ses cheveux que je vous envoie de sa part. Il m’avait dit : Si je meurs, tu feras tenir cela à Voiron. »


LXII


« La boucle de cheveux tomba à terre avec la lettre, monsieur, car je n’avais fait attention qu’à la mort de ce pauvre brave jeune homme, et à ce mot terrible qui me révélait tout le mystère de leur amour et toute la honte de notre famille : « Tu lui diras d’envoyer l’enfant à… »

« Dieu ! me dis-je, quoi !… ma sœur !… Est-ce bien possible !… Elle, si sage et si pieuse… Elle m’a pourtant trompée ainsi ! Ah ! elle est trop punie ! pensai-je aussitôt. Malheureuse enfant ! que va-t-elle devenir en apprenant la mort de celui… dirai-je son séducteur ou son époux ? le père, hélas ! de l’enfant qu’elle portait à mon insu dans son sein !… Et que devenir ? et comment avouer ?… et comment cacher cette honte ? Où nous enfuir ? où nous ensevelir dans la terre ?… Mon Dieu ! mon Dieu ! venez à notre secours. »

« Je sentis un mouvement de colère contre ma sœur : Comment, me dis-je, moi qui ai été sa mère… moi qui ai renoncé, pour la garder, à mon amour, à ma fortune, à mon bonheur, à Cyprien !.… moi qui ne la quittais pas plus que son ombre le jour, pas plus que la muraille de sa chambre et le chevet de son lit la nuit ! elle a pu me