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LII


« C’était au printemps de 18.., monsieur ; un escadron de chasseurs était en cantonnement à Voiron pour surveiller la frontière. Ah ! le beau corps que ça faisait donc ! C’étaient tous des jeunes gens comme vous êtes à présent, monsieur, grands, élancés, bien pris dans leur taille, des couleurs fraîches, des moustaches noires, avec des ceintures de cuir verni, des chaînes de fer sous le pied ; des vestes vertes galonnées de noir, des casques luisant au soleil comme le coq du clocher de Voiron ; des crinières qui leur pendaient sur le cou et que le vent faisait flotter en les soutenant, quand ils couraient, comme les queues de leurs chevaux blancs.

« — C’était superbe de les voir manœuvrer les jours de revue dans les prés, allant, venant, courant, galopant le sabre à la main, au bruit des trompettes, à la voix de leur commandant. On aurait dit une rivière d’acier fondu qui aurait débordé dans les prés. Tout le monde y allait pour les voir. On les aimait dans la ville, parce que les militaires, c’est bon pour l’habitant, quoique ça soit terrible contre l’ennemi ; ils étaient logés chez les artisans et chez les bourgeois, qui ne s’en plaignaient pas ; au contraire, chacun se disait : « Mon enfant est peut-être comme ça chez de pauvres gens d’une autre frontière. Il faut avoir bien soin de mon soldat, pour que les autres aient bien soin de mon fils aussi. » C’est juste. Le logement, le feu, la chandelle et le vin blanc, et l’amitié par-dessus, on leur donnait tout de bonne grâce.

« Nous, monsieur, on ne nous en avait pas donné, parce