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bait de grosses larmes de ses yeux sur le poil de sa bête. »

« Voilà tout ce que j’en ai su pour le moment.


XLVI


« Nous restâmes deux ans et demi comme cela sans entendre plus parler l’un de l’autre que si nous étions morts tous les deux. S’il m’avait revue, il ne m’aurait pas reconnue, car ma beauté d’un printemps n’avait pas tenu à mon chagrin, mes couleurs avaient passé comme une teinture de mauvais teint sur une étoffe ; je travaillais tard, je me levais matin, je pleurais la nuit, je me nourrissais pauvrement pour gagner le trousseau de Josette et pour payer ses apprentissages ; je n’allais plus dans les prés, je ne voyais plus le soleil que contre le mur de la chambre un moment le soir : j’avais maigri, que mes robes me tombaient des épaules et que ma bague me glissait du doigt ; je m’étais voûtée, comme vous le voyez, à force de coudre ; je pensais toujours à Cyprien en cousant, et je me disais malgré moi : « Qu’est-ce qu’il fait à présent ? Hélas ! s’il me rencontrait, que dirait-il ? croirait-il bien qu’il a jamais pu être amoureux de cette pauvre fille qui tiendrait tout entière dans l’écorce d’un sapin de douze ans ? »

« Les voisines me disaient : « Tu fonds, Geneviève, comme un cierge qui brûle la nuit ; ne travaille donc pas tant, mon enfant ! » Mais ce n’était pas tant le travail, c’était la joie qui n’y était pas.

« Je croyais bien pourtant que je n’aimais plus M. Cyprien, parce que je n’entendais plus personne me dire son nom. Mon petit commerce de mercerie, auquel