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connaît pas la peine, ça souffrirait trop d’être paysanne dans sa vie, après avoir été quasi demoiselle étant enfant. »

« Nous redescendîmes l’échelle sans en avoir plus dit. Le mulet tout harnaché nous attendait en bas. Le père Cyprien me remit dessus. Tout le pays me fit la conduite jusqu’au pont rouge, et nous redescendîmes, Cyprien et moi, fiancés et contents, par où nous étions montés le matin.


XXXV


« Nous étions plus gais, monsieur, et plus accoutumés ensemble, parce que maintenant nous ne pouvions plus nous dédire, et que nous avions bu et mangé ensemble et mis notre main dans notre main. Le temps nous durait, en idée, jusqu’au grand jour ; mais Cyprien me promettait de venir tous les dimanches me conduire à la messe de Voiron et me promener dans les prés ; ça nous ferait patienter.

« Ah ! mon Dieu, que j’étais heureuse ! et lui aussi, qu’il était content ! Ce n’était plus le même garçon que le matin, voyez-vous ; il me regardait, il me regardait, nous nous regardions ! Il cassait des branches à tous les buissons en fleur pour en ombrager la tête du mulet ; il parlait à tous les passants d’un air de joie et de bonne grâce, comme un homme qui aurait voulu ouvrir son cœur où il y aurait trop de contentement, pour en donner une part à tout le monde. Et quand on lui demandait : « Qu’est-ce que tu mènes donc là si joyeux à la ville, Cyprien ? veux-tu vendre la charge de ton mulet ? — Oh ! que non, qu’il disait ; c’est mon cœur : je ne le vends pas, mais je le laisse prendre. » Et puis on riait ensemble en buvant un coup à sa