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qui leur montait jusqu’aux genoux. Il me les nommait l’une après l’autre, en me disant leurs défauts et leurs qualités : « Celle-là, c’est la Rousse, me disait-il ; elle vient d’elle-même tendre son pis deux fois par jour pour qu’on la soulage de son lait ; celle-là donne deux pintes par soleil ; celle-là laboure comme un bœuf, mais elle est toujours maigre et ne broute guère au râtelier : nous l’appelons la Servante ; celle-là est bariolée de noir et de blond, c’est la plus belle, mais elle est fière et capricieuse comme une chèvre ; celle-là a la corne de travers : il faudra prendre garde, Geneviève, jusqu’à ce qu’elle vous connaisse, elle vous regardera de mauvais œil. » Il m’avertissait de tout, monsieur, et me disait comme il fallait faire pour être agréable à sa mère et pour me faire aimer à la maison. Je le remerciais et je lui disais : « Soyez tranquille, Cyprien ; n’ai-je pas servi toute ma vie ? » Puis j’admirais les sapins, les orges, les arbres fruitiers, les ruches couvertes de leurs toits pointus de paille grise pour que la neige glissât dessus ; les canards dans la mare, les poules dans le verger, enfin tout, quoi ! et je pensais : « Je n’aurais pas besoin de tant avec Cyprien ! » Il me ramena toute contente à la maison, où les vieillards buvaient encore, quoique le soleil fût déjà haut dans le milieu du ciel, et me fit voir la chambre que j’aurais avec lui au-dessus de l’étable : on y montait par une échelle de sapin, et il y avait une petite galerie devant, toute tapissée de maïs luisant, comme si la muraille eût été de l’or. La chambre était basse et petite, tout en bois de sapin poli comme un coffre. « Ah ! que nous serons bien là ! que je me dis ; c’est bien assez grand pour deux. » Je pensais laisser la petite en apprentissage à Voiron, parce que Cyprien m’avait dit en route que sa mère ne voulait absolument que moi. « Et puis, me disais-je, cette pauvre enfant-là a toujours été dorlotée ; ça ne