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en rocher, en jetant des cris, en hurlant, en sifflant comme des personnes ; les bras des sapins qui s’étendaient sur le chemin et qui me forçaient à baisser la tête sur le cou de la bête, de peur d’y laisser ma coiffe et mon peigne ; les précipices tout garnis de fleurs rouges, bleues, jaunes, que je n’avais jamais vues dans les jardins de Voiron ; l’écume blanche qu’on voyait au fond, comme des écluses de lait qui auraient coulé du ciel ; les arcs-en-ciel qui forment des ponts d’un des côtés du précipice à l’autre, et qu’on voyait en bas au lieu de les voir en haut ; par moments, de petits brouillards qui sortaient en fumée des sapins, qui devenaient nuages, qui éclataient en éclairs, en tonnerres, en ondées d’un quart d’heure, et puis qui se dissipaient, comme les bulles d’air de Josette, en soufflant dessus, et qui laissaient revoir après un ciel sans tache, aussi bleu que l’eau du lavoir quand les blanchisseuses y ont délayé le savon ; je ne pouvais pas me lasser de regarder, je me disais : Que le monde est grand ! » J’aurais voulu ne jamais arriver et toujours attendre. Cyprien avait vu cela toute sa vie, monsieur, lui ; eh bien, il n’avait pas l’air plus pressé que moi. Il me disait : « Geneviève, vous allez croire que je mens, eh bien, le pays ne m’a jamais paru aussi beau que cette fois avec vous. Je ne sais pourquoi, mais c’est comme ça. » Et il trouvait toujours que la monture allait trop vite, parce qu’il sentait le pré, disait-il, et il trouvait toujours une raison pour l’arrêter, tantôt pour resserrer les sangles, tantôt pour lui enlever un taon sur le cou, tantôt pour lui ôter un caillou du pied. Ah ! il aimait bien son mulet, allez !