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de vue entra dans ma boutique et me demanda des petits miroirs à acheter. Je les lui donnai poliment, il me les paya au-dessus du prix que je lui avais demandé, et il sortit. En comptant les sous pour les mettre au tiroir, je vis qu’il y en avait douze de trop ; je les pris dans ma main et je courus après lui. « Père, lui dis-je, vous vous êtes trompé, vous n’avez acheté que deux miroirs, et vous m’en avez payé trois ; voilà douze sous de trop, reprenez-les, ou bien prenez un miroir de plus. » Il me regarda de la tête aux pieds avec un fin rire que je ne comprenais pas, et qui me fit honte, parce que je crus qu’il se moquait de moi. « Eh bien ! mademoiselle, qu’il me dit, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; vous êtes une jolie fille, ma foi ! aussi honnête que brave ; mon fils n’a pas menti, vous ne tromperiez pas un enfant pas encore sevré ; ça me fait plaisir. — Votre fils ! lui répondis-je en rougissant jusqu’au blanc des yeux, parce qu’à la ressemblance et au son de voix je me doutais de quelque chose ; votre fils, qui est-il donc ? je ne le connais pas. — Oh ! que si, que vous le connaissez, reprit-il, et que lui il vous connaît bien ! Vous ne connaissez donc pas Cyprien, le beau montagnard, et le bon montagnard, que je dis, moi ? Eh bien ! c’est mon enfant ! — Ah ! vous êtes le père de Cyprien ? » lui répondis-je en tremblant, les yeux baissés, et je n’en pus dire davantage, tant je me sentais toute tremblante, toute froide, toute de bois, devant ce vieillard. C’était pourtant un vieillard bien comme il faut, monsieur, pour sa condition ; le visage grave, la voix douce, le bonnet à la main, les cheveux blancs, l’air honnête, les paroles de son âge, me parlant comme il aurait parlé à sa fille ou à une dame.

« — Oui, c’est moi qui suis son père, continua-t-il en me reconduisant jusqu’à la porte, un vieil ami de votre père,