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portes des messieurs, pour les maisons riches, et qui tenait chez lui des petits garçons de la montagne pour ramoner les cheminées.

« Mais les deux ou trois jours que Cyprien passait chaque voyage chez son pays, il ne faisait que passer et repasser, sous un prétexte ou sous un autre, toute la journée, devant notre échoppe, et il trouvait toujours une raison pour y entrer, pour y revenir, pour y rester un ou deux moments. Tantôt il avait oublié sa provision de boutons de manches, tantôt des épingles, tantôt des écheveaux de fil ; d’autres fois, il avait une commission à me faire de la part de son père ou de sa mère, qui lui avaient recommandé de me rappeler les ornements d’église ou les almanachs qu’il fallait faire venir de Grenoble pour Noël prochain ; tantôt il était fatigué d’avoir tant marché dans Voiron depuis le matin, pour marchander du chanvre ou des étoupes, et il me demandait la permission de s’asseoir un moment devant le comptoir, pendant que je causais ou que je pesais aux petits enfants pour deux liards de sel ou du pain d’épices dans mes balances de laiton poli. Ce moment durait des heures, et nous ne nous en apercevions ni lui ni moi.

« Les voisins qui passaient et qui le voyaient assis, son coude sur mon ouvrage, ses cheveux luisants comme des ailes de corneille déroulées sur le comptoir, son bâton ferré entre ses jambes, son sac sur ses genoux, disaient : « Voilà un beau montagnard qui s’apprivoise avec les filles de la plaine. Regardez donc, on dirait toujours qu’il va parler, et il ne fait rien que regarder le bout de ses souliers. »

« C’est qu’en vérité, monsieur, il ne me disait quasi rien, ni moi non plus ; ou bien il me parlait de choses qui étaient à mille lieues de ses vraies pensées et des miennes : du temps qu’il faisait, de l’heure qu’il était, des vaches de sa