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sage et toute frileuse, et toute vêtue de noir que vous êtes vêtue aujourd’hui, on voit bien à votre physionomie que vous avez dû avoir votre mois de mai aussi et votre floraison.

« — Eh bien, oui, monsieur ; je lui plaisais. Depuis la mort de ma mère, que j’avais moins de peine, que je n’étais pas réveillée vingt fois par nuit, que je voyais le soleil, que j’allais et que je venais au grand air, j’étais devenue comme les autres, j’avais repris des couleurs, j’avais un peu engraissé ; il y avait des rayons de soleil dans mes yeux, qui jusque-là avaient toujours été à l’ombre. Cela ne dura pas, je le sais bien ; mais il y eut deux ou trois ans ou je ne fus pas trop déplaisante. Les garçons de Voiron s’arrêtaient pour me regarder à travers la vitre de la devanture, le dimanche, et j’entendais qu’ils se disaient : « Tiens, regarde donc Geneviève ; on dirait qu’elle fleurit comme son œillet rouge sur sa fenêtre, et qu’elle ose enfin être jolie. » Que voulez-vous que je vous dise, monsieur ? Il y a un coup de soleil d’été pour toutes les plantes, même sur les Alpes, où l’été ne fait que passer. C’est ce coup de soleil qui dore les orges pâles au moment de la moisson. J’étais comme ces pailles d’orge, et j’avais eu, comme elles, mon court soleil de beauté. Mais il ne brilla pas plus de deux ou trois saisons sur mon visage ; et je ne le regrette pas, ajouta-t-elle bien vite, oh ! non, je ne le regrette pas : j’ai trop souffert.


XX


« Il y avait donc un jeune colporteur d’ici, monsieur, de ce village, où je vous raconte si mal tout cela, parce que