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j’étais prévenante et que la petite était jolie, nous ne manquions pas tout à fait de pratiques. Les villageois d’en haut, qui connaissaient anciennement mon père, venaient s’approvisionner de préférence chez nous avant les neiges. Une fois l’hiver venu, par exemple, nous ne vendions presque plus rien. Nous avions peine à vivre ; mais pour gagner quelque petite chose, je faisais le ménage de pauvres voisines absentes, malades ou en couches, pour la nourriture et trois ou quatre sous par jour, ce qu’on voulait me donner. On aimait mon service, parce que j’avais si bien appris autour du lit de ma mère comment on désennuie une malade et comment on la retourne dans son lit ! Je rentrais plusieurs fois par jour, pour voir ce que Josette faisait toute seule à la maison, et pour la faire souper et coucher ; puis, je retournais veiller toute la nuit mes malades, assise sur une chaise.


XVII


« Cela dura deux ans ainsi, et tout allait bien ; mais je commençais à me sentir triste sans savoir pourquoi. C’est que j’avais vingt ans, monsieur, et que je voyais toutes les filles de mon âge courtisées par de jeunes garçons du pays, puis fiancées, mariées avec celui qu’elles avaient préféré parmi tous les autres. J’étais souvent appelée dans les maisons pour habiller l’épousée ou préparer le repas des noces ; pendant que les autres jeunes filles de mon âge allaient à l’église, jasaient à table avec leurs connaissances, ou dansaient dans les granges, je raccommodais les robes, je cuisais les galettes, ou j’étendais la nappe, seule avec les vieilles femmes à la maison. Cela me faisait rêver pourtant