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sous la paupière. Ils étaient bordés d’un ourlet noir, comme des yeux qui ont beaucoup veillé et beaucoup pleuré. Leur couleur était un bleu pâle sans aucun éclat ; ils se laissaient regarder sans mouvements, comme de l’eau à l’ombre ; on en voyait jusqu’au fond, mais l’on n’y pouvait lire que simplicité, sensibilité et langueur. Ces beaux jeunes yeux de femme de haute et fine race avaient l’air dépaysés dans le cadre d’un visage déjà vieilli et fané. Ses lèvres un peu grosses et déprimées vers les coins étaient légèrement plissées quand elle les fermait ; mais, dès qu’elle les ouvrait, soit pour parler à ses oiseaux, soit pour saluer les pauvres femmes du village qui passaient en l’appelant sous sa fenêtre, ses lèvres détendues laissaient voir des dents blanches comme les cailloux de la fontaine, et un sourire où la mélancolie se fondait dans la bonté.

Toute l’expression de ce visage était dans cette bouche par où son cœur semblait s’ouvrir et se répandre sur tous les traits. Le timbre de sa voix révélait ce tremblement intérieur d’une fibre brisée par une perpétuelle émotion. C’était une complainte d’accents qui semblait toujours chanter en parlant.

Cette voix reposait et touchait à la fois. Je n’en ai jamais entendu de pareille que dans les chalets du Valais, en demandant autrefois mon chemin ou du lait aux vieilles femmes des montagnes. Les passions et les continuels commérages des villes donnent quelque chose de dur et de rauque à la voix des femmes ; la solitude et la sérénité des montagnes la rendent douce comme un soupir, accentuée comme un sentiment, sonore et timbrée comme une cloche dans le lointain à travers les bois. Telle était la voix de Geneviève. Pendant que je lisais dans le jardin, sans qu’elle me vît, je ne me lassais pas de l’entendre