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IV


Geneviève paraissait avoir trente-cinq ou quarante ans à l’époque de la mort de Jocelyn. L’âge n’était pas lisible sur ses traits usés par la fatigue. On sentait que la misère avait soufflé là de bonne heure, comme la bise qui gèle une plante au printemps, et qui la laisse plutôt languir que vivre le reste de sa saison. Elle était grande, mais un peu voûtée, et la poitrine très enfoncée et très creuse par l’attitude habituelle d’une fille qui coud du matin au soir. Ses bras étaient maigres, ses doigts longs et effilés ; bien que ses mains fussent d’une blancheur et d’une propreté parfaite, l’ongle du troisième doigt de la main droite était cerné à l’extrémité par une tache bleuâtre : c’était la trace du dé de cuivre qu’elle portait presque toujours, et qui avait déteint sur sa peau. Elle portait le costume des paysannes de ces montagnes : une robe de grosse laine bleue galonnée sur les coutures d’un passe-poil de velours amarante. Une coiffe blanche, bordée de dentelles très larges qui battaient ses joues, laissait à peine apercevoir les racines de ses cheveux, relevés sur les tempes et cachés sous sa coiffe. Ses traits délicats et maladifs n’avaient aucune carnation. Sous sa peau fine et transparente, on ne voyait ni rougir ni circuler aucun sang ; les petites veines bleues qui se ramifiaient sur ses tempes étaient aplaties comme des canaux que la séve, un peu tarie, n’a pas la force de gonfler. Ses joues étaient à peine revêtues d’un épiderme imperceptiblement ridé par le frisson habituel de la peau dans cet air des neiges. Ses yeux, frangés de très-longs cils noirs, étaient largement fondus, quoique profondément enchâssés