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rence de patrie, au milieu de l’isolement que la supériorité des années créait entre les deux jeunes filles, devaient naturellement les resserrer plus étroitement entre elles. Elles ne tardèrent pas à contracter une de ces amitiés passionnées qui font le charme et la consolation de ces solitudes où les cœurs neufs trouvent d’autres cœurs neufs comme eux pour recevoir et pour échanger leurs premières confidences.

Le couvent était situé dans ce quartier immense et désert de la Longara, qui s’étend de Transtevère jusque derrière la colonnade de Saint-Pierre. C’est une rue sans fin, dont les façades sont tour à tour des palais, des monastères ou des maisons d’un aspect misérable, autrefois habitées par les nombreuses familles pauvres attachées par des fonctions aux autels, aux sacristies ou à l’entretien de cette basilique, capitale du catholicisme. Au temps dont je parle, ces maisons paraissaient désertes ou peuplées seulement de vieillards, de pauvres femmes et d’indigents. En entrant dans cette rue, dont on comprenait l’antique splendeur à quelques portails admirables d’églises et à l’architecture délabrée de quelques grands palais, on éprouvait une de ces impressions que l’on ne connaît guère dans le nord de l’Europe, une tristesse orientale, une mélancolie dans la lumière, une consternation éclatante qui serre le cœur sans qu’on sache pourquoi. C’était le contraste d’un ciel bleu et net comme le lapis se réverbérant sur des tuiles rouges et sur des pavés brûlants, dans une solitude et dans un silence qui donnaient au jour quelque chose de l’immensité vague et de la terreur de la nuit. Il m’est arrivé souvent de parcourir d’une extrémité à l’autre cette longue avenue de murs brûlants, au milieu de la journée, sans apercevoir un seul être se mouvoir dans toute son étendue, et sans entendre un seul pas retentir sur ses pavés. Quelques chats plaintifs traversant précipitamment la chaussée