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de côté, mais en face, les yeux dans ses yeux, la main dans sa crinière, avec cette familiarité ferme et confiante qui prouve qu’on se livre, mais qu’on s’estime, et qui dit aux multitudes : « Comptez-vous tant que vous voudrez ; moi je me sens ».

Cela dit, quel point de vue choisirez-vous pour écrire cette histoire populaire ? Il y en a trois principaux auxquels vous pouvez vous placer : le point de vue de la gloire, le point de vue du patriotisme, le point de vue de la civilisation ou de la moralité des actes que vous allez raconter. Si vous écrivez au point de vue de la gloire, vous plairez beaucoup à une nation guerrière, qui a été éblouie bien avant d’être éclairée, et que cet éblouissement a aveuglée si souvent sur la valeur des hommes et des choses qui brillaient dans son horizon. Si vous vous placez au point de vue exclusif de son patriotisme, vous passionnerez beaucoup un peuple qui a pour son sublime égoïsme l’excuse même de son salut et de sa grandeur, et qui, en se sentant si grand et si fort, a pu croire qu’il était seul et que l’Europe se résumait en lui. Mais ni l’un ni l’autre de ces points de vue ne vous donneront la vérité vraie, c’est-à-dire la vérité générale ; ils ne vous donneront que la vérité française ; or la vérité française n’est qu’à Paris ; passez la frontière, c’est un mensonge. Ce n’est pas à cette vérité bornée par les limites d’une nation que vous voulez consacrer votre enseignement ni réduire l’intelligence du peuple. Que vous reste-t-il donc à choisir ? Le point de vue universel et permanent, c’est-à-dire le point de vue de la moralité des actes individuels ou nationaux que vous avez à décrire. Tous les autres sont éclairés par un jour conventionnel ; celui-là seul est éclairé par un jour complet et divin ; celui-là seul peut guider l’incertitude des jugements humains à travers le dédale des préjugés, des opinions,