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lume à lire qui fera passer le temps à ma femme, à mes enfants, à moi, et qui restera à la maison après, avec du plaisir dans la mémoire, de douces larmes dans les yeux, de bons sentiments dans le cœur. Voyons, lequel faut-il acheter ? » Et il achètera le volume, monsieur, à moins qu’il ne soit un égoïste, un homme dur ou un débauché. Et puis encore, il fera un calcul tout simple, s’il calcule bien. Il dira : « Si je vais passer ma soirée hors de chez moi, dans les lieux publics, il m’en coûtera peut-être une journée ou deux de mon salaire, et si je la passe à la maison avec mes enfants et mes voisins à écouter lire un bon livre, il ne m’en coûtera rien que la chandelle, et j’aurai économisé sur mon pécule en enrichissant mon intelligence et en polissant mes mœurs. » N’est-ce pas vrai, cela ?

« — Parfaitement vrai, et cette réflexion ne pouvait venir que de vous, qui savez le prix du temps de l’ouvrier. Aussi il faudrait que ses livres fussent courts, n’est-ce pas ?

« — Oui, monsieur, longs comme la durée d’une chandelle, à peu près, pas davantage ; parce que les hommes de travail n’ont guère d’autre temps à consacrer aux livres que le dimanche, et que si l’histoire n’était pas finie avant qu’on se couche, la semaine, en passant dessus, la ferait oublier. On ne saurait plus où on en est, on ne se rappellerait plus, le dimanche suivant, les noms et les choses. Il n’y a que les gens de loisir qui peuvent lire des livres en beaucoup de volumes ; ils prennent leur plaisir en gros comme leurs provisions chez l’épicier. Pour nous, nous ne pouvons les prendre qu’en détail : une once de sel, une page de sentiment, une goutte de larmes ! Sou par sou, voilà le peuple : il faut le prendre comme Dieu l’a fait ! »