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rence ses bons sentiments, ses travaux, ses dévouements et ses vertus, pour lui donner davantage l’estime de lui-même et l’aspiration à son perfectionnement moral et littéraire ; qu’en pensez-vous ?

« — Ah ! monsieur, s’écria-t-elle, je pense que ce sont véritablement là les livres qui attacheraient les artisans, surtout les femmes et les filles des artisans. Et comme vous savez bien que c’est la femme qui est le sentiment de toute la famille, par conséquent, lorsque la femme ou la jeune fille de la maison lit un livre, c’est comme si son père et ses frères l’avaient lu. Nous sommes le cœur des logis, monsieur : ce que nous aimons, les murailles l’aiment. L’instituteur de l’esprit est à l’école, mais l’instituteur de l’âme est au foyer. C’est la mère, la femme, la fille ou la sœur de l’ouvrier honnête qui sont ses véritables muses, comme on appelle ces inspirations intérieures à l’Académie de Marseille. Ce qu’elles soufflent est respiré par tous les parents et par tous les amis par-dessus tout. Ce sont elles, comme je l’ai vu tant de fois dans les soirées de famille d’ouvriers, ce sont elles qui choisissent le livre, qui allument la lampe le dimanche, et qui disent : « Je vais vous lire une histoire ; écoutez-moi bien ! »

« — Il faudrait, n’est-ce pas, que ces histoires fussent prises dans la condition même de ceux qui les lisent ?

« — Oui, monsieur, sans cela pas d’attention ; on dit : « Cela est plus haut que nous, n’y regardons pas ! »

« — Il faudrait qu’elles fussent vraies ?

« — Oui, monsieur. Nous n’aimons pas beaucoup les imaginations, parce que nous n’en avons pas beaucoup nous-mêmes. Nous ne nous intéressons qu’au vrai, parce que nous vivons dans les réalités, et que la vérité, c’est notre poésie à nous.