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lettres d’amour, qui se trompent, qui se brouillent, qui se raccommodent, et qui finissent, après quatre volumes de malentendus et d’aventures, par se marier et par vivre riches et heureux dans un magnifique hôtel à Paris ou à Londres ?

« — C’est comme si on nous parlait la langue de la Chine ou du Japon, monsieur ; nous n’y comprenons absolument rien. Les romans de femmes de chambre ou de couturières, oui, nous les lirions bien avec plaisir, ceux-là. Il y a bien des écrivains qui nous en font plus que nous n’en voulons, de ceux-là ; mais plût à Dieu qu’ils ne nous en fissent pas ou qu’ils en fissent d’autres ! car c’est là, monsieur, la peste des pauvres mères de famille honnêtes ; elles sont toujours à chercher dans les poches de leurs fils ou de leurs filles pour y surprendre ces vilains petits livres et pour les jeter au feu. Est-il possible qu’il y ait des écrivains d’esprit qui s’amusent à jeter comme ça du poison dans des jeunes cœurs, comme on sèmerait de l’arsenic dans les boutons d’un bouquet pour faire respirer la mort en croyant s’embaumer ? Oh non ! Justement voilà le malheur, c’est qu’on nous fait bien des livres, mais ce sont des livres contre nous ! et puis ces messieurs parlent de pauvres gens qui vendent leurs enfants ! mais la monnaie avec laquelle on les achète, qui est-ce donc qui l’a faite, si ce n’est pas eux, avec leurs romans à deux sous ?

« — Mais de simples histoires vraies et pourtant intéressantes, prises dans les foyers, dans les mœurs, dans les habitudes, dans les professions, dans les familles, dans les misères, dans les bonheurs et presque dans la langue du peuple lui-même ; espèce de miroir sans bordure de sa propre existence, où il se verrait lui-même dans toute sa naïveté et dans toute sa candeur ; mais qui, au lieu de réfléchir ses grossièretés et ses vices, réfléchirait de préfé-