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causé un peu plus amicalement avec vous, et même sans vous avoir donné un petit moment d’hospitalité à notre table de campagne. Ma femme, qui s’habille pour dîner, sera aussi enchantée que moi de vous accueillir. Restez la soirée avec nous, et en attendant l’heure du dîner, racontez-moi un peu comment est né en vous ce goût pour la lecture, ce sentiment de la poésie et cette passion de connaître les hommes dont vous avez parcouru les ouvrages.

« — Je le veux bien, Monsieur, dit-elle, mais ça ne sera pas long. Ma vie se compose de deux mots : travailler et sentir.


XII


« Je m’appelle Reine Garde ; je suis née dans un village des environs d’Aix en Provence. Je suis entrée toute jeune en condition chez Madame de ***, qui avait des jeunes demoiselles. J’ai été bonne d’enfants dans le château ; j’ai grandi avec les jeunes personnes et je les ai vues grandir. Elles me traitaient plutôt comme leur sœur que comme leur servante ; le père et la mère me traitaient presque aussi, à cause d’elles, comme un de leurs enfants. Je n’ai jamais voulu me marier pour ne pas quitter la famille. Pendant que les demoiselles faisaient leur éducation, en allant et venant dans la salle, j’attrapais un bout de leurs leçons. Je lisais dans leurs livres, enfin j’étais comme la muraille qui entend tout et qui ne dit rien. Cela fit que j’appris de moi-même à lire, à écrire, à compter, à coudre, à broder, à blanchir, à couper des robes, enfin tout ce qu’une fille apprend dans un cher apprentissage. Je leur taillais moi-même leurs habits, je les coiffais, à Aix, pour les soirées ou pour les bals ; elles ne trouvaient rien de bien fait que ce