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Hermine, s’attachant aux pas de sa nourrice,
Avait rejoint Tristan aux bords du précipice,
Et, dans son cœur brisé retenant ses sanglots,
Voulait parler, pleurait, ne trouvait plus de mots,
De ses deux pâles mains se couvrait le visage,
Regardait tour à tour la nourrice et le page,
Et le ciel et le lac, et pensait : « Ô mon Dieu !
Que sa vague était douce auprès d’un tel adieu ! »
Puis enfin, s’efforçant d’une voix qui chancelle,
Elle voulait parler : « Tristan, Tristan ! » dit-elle.
Un long silence encor suivit ce faible effort ;
Mais ce seul mot était plus triste que la mort.
« Te souviens-tu d’un mot qu’au sein de la mort même
Ma bouche a murmuré dans un aveu suprême ?
Ah ! la mort de mon cœur pourra seul l’effacer !
Mais mon nom découvert me défend d’y penser ;
Il restera plongé dans l’ombre de mon âme
Comme un obscur fourreau cache une riche lame.
Il dormira bientôt sous le sceau du trépas.
Je vous le rends ici. — Je ne le reprends pas,
Plus basse est ta fortune, et plus un amour tendre,
Pour être à toi, Tristan, s’honore de descendre.
Descendre ! ah ! qu’ai-je dit ! S’élever, s’ennoblir !
Honorer ce qu’on aime, est-ce donc s’avilir ?
Est-il un rang si bas que la vertu n’honore ?
Illustre, je t’aimais ; malheureux, je t’adore !
Et mon cœur et ton cœur attaché sans retour,
Ce que ravit le sort, le rend par plus d’amour !
Mais toi dont la tendresse, aux risques de ta vie,
À l’injure, à la mort, dans tes bras m’a ravie,
Toi qui semblas m’aimer tant que je fus ta sœur,
Tristan ! ton cœur est-il si docile au malheur ?
Se peut-il qu’un seul jour efface tant d’années !
Tant de doux souvenirs, tant d’heures fortunées,