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On vantait la pitié de notre noble dame :
L’espérance, à son nom, pénétra dans mon âme ;
Je m’emparai soudain, par un adroit larcin,
De deux cygnes chéris que nourrissait sa main,
Et confiant mon fils et sa frêle nacelle,
Je chargeai leur instinct de la guider près d’elle ;
La vague protégea ce dépôt précieux,
Jusqu’à ces bords lointains je le suivis des yeux.
Tranquille sur le sort d’une tête si chère,
Je sentis s’alléger le poids de ma misère,
Et loin de ce rivage allant porter mes pas,
J’usai mes tristes jours de climats en climats.
Mais enfin, quand des ans l’inévitable outrage
Eut usé de ce corps la force et le courage,
Rappelé vers ces bords par un cher souvenir,
Un instinct paternel me force à revenir
Près de ce fils chéri terminer ma carrière,
Pour avoir une main qui ferme ma paupière !
Ah ! laissez-moi, seigneur, le voir et l’embrasser ;
Sur ce cœur expirant laissez-moi le presser ;
Et que puisse de Dieu la main juste et prospère
Bénir dans vos enfants la pitié de leur père !
— Mes enfants ! qu’a-t-il dit ? hélas ! je n’en ai plus !
Garde pour toi, vieillard, tous tes vœux superflus ;
J’ai perdu, comme toi, l’espoir de ma famille :
Va ! cours chercher ton fils ! il est avec ma fille ! »
Ainsi dit Béranger, et, d’une rude main
Repoussant le vieillard, il reprend son chemin.
Tel qu’un aigle irrité, dont l’immonde reptile,
Pendant qu’il plane en paix, dans un azur tranquille,
A dévasté son aire, et sur ses bords flétris
De ses œufs près d’éclore a semé les débris ;
Lorsque redescendu de sa céleste sphère,
Son instinct paternel le rappelle à son aire,