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Il t’amène en ces lieux : j’adore ses décrets ;
Entre, et bénis son nom ! tu parleras après. »
Soudain, comme un berger qui veut, sur les fougères,
Laisser fuir du bercail les agneaux sans les mères,
S’incline, et d’un genou, par l’effort affermi,
Soutient le lourd battant qu’il entr’ouvre à demi :
Tel, sur ses gonds massifs faisant rouler la porte,
Le robuste vieillard, dont le corps la supporte,
Laisse entrer Éloïm, et, refermant soudain,
Tourne avec un bruit sourd les lourds verrous d’airain.
Éloïm, se jetant à ses pieds qu’il embrasse,
Baise en pleurant la terre où s’imprime leur trace.
« Homme ou Dieu, lui dit-il ; et toi, toi ! dont les yeux
Lancent des feux plus doux que la nuit dans les cieux,
Toi qu’enfin, sans ces pleurs qui trahissent une âme,
Je n’oserais nommer du nom touchant de femme !
Soyez bénis tous deux ! Ou si mes sens surpris
Prennent pour des mortels de célestes esprits,
Êtres surnaturels ! enseignez-moi vous-même
Comment on vous adore ou comment on vous aime ! »
La vierge, à ces accents qui vibrent dans son cœur,
Rougissait de plaisir, d’orgueil et de pudeur ;
Ses lèvres s’entr’ouvraient pour répondre elle-même ;
Mais le vieillard, d’un geste et d’un regard suprême,
Sur sa bouche tremblante arrêta son discours :
« Suivez-moi, leur dit-il ; les mœurs des anciens jours
Ne nous permettent point d’interroger encore
L’étranger dont les pas ont devancé l’aurore,
Avant qu’à notre table, assis, il ait goûté
Le pain, le vin, les dons de l’hospitalité !
Qu’il vienne du Seigneur partager les merveilles ;
Désaltérer sa soif du doux jus de mes treilles
Et du lait des brebis épaissi sous ta main,
Et des fruits de nos champs satisfaire à sa faim.