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Vos siècles page à page épellent l’Évangile :
Vous n’y lisiez qu’un mot, et vous en lirez mille ;
Vos enfants plus hardis y liront plus avant !
Ce livre est comme ceux des sibylles antiques,
Dont l’augure trouvait les feuillets prophétiques

Siècle à siècle arrachés au vent.


Dans la foudre et l’éclair votre Verbe aussi vole ;
Montez à sa lueur, courez à sa parole,
Attendez sans effroi l’heure lente à venir,
Vous, enfants de Celui qui, l’annonçant d’avance,
Du sommet d’une croix vit briller l’espérance

Sur l’horizon de l’avenir !


Cet oracle sanglant chaque jour se révèle :
L’esprit, en renversant, élève et renouvelle.
Passagers ballottés dans vos siècles flottants,
Vous croyez reculer sur l’océan des âges,
Et vous vous remontrez après mille naufrages

Plus loin sur la route des temps !


Ainsi quand le vaisseau qui vogue entre deux mondes
A perdu tout rivage, et ne voit que les ondes
S’élever et crouler comme deux sombres murs ;
Quand le maître a brouillé les nœuds nombreux qu’il file,
Sur la plaine sans borne il se croit immobile

Entre deux abîmes obscurs.


« C’est toujours, se dit-il dans son cœur plein de doute,
Même onde que je vois, même bruit que j’écoute ;
Le flot que j’ai franchi revient pour me bercer ;
À les compter en vain mon esprit se consume,
C’est toujours de la vague, et toujours de l’écume :

Les jours flottent sans avancer ! »