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Puis, étendant sans fin son bleu semé de voiles,
Semblait un second ciel tout blanchissant d’étoiles ;
Et les vaisseaux allaient et venaient sur les eaux,
Rasant le flot de l’aile ainsi que des oiseaux,
Et quelques-uns, glissant le long des hautes plages,
Mêlaient leurs mâts tremblants aux arbres des rivages,
Et jusqu’à ces sommets on entendait monter
Les voix des matelots que le flot fait chanter.
Et l’horizon noyé dans des vapeurs vermeilles
S’y perdait ; et mes yeux plongés dans ces merveilles,
S’égarant jusqu’aux bords de ce miroir si pur,
Remontaient dans le ciel de l’azur à l’azur,
Puis venaient, éblouis, se reposer encore
Dans un regard plus doux que la mer et l’aurore,
Dans les yeux enivrés d’un être ombre du mien,
Où mon délire encor se redoublait du sien !
Et nous étions en paix avec cette nature,
Et nous aimions ces prés, ce ciel, ce doux murmure,
Ces arbres, ces rochers, ces astres, cette mer ;
Et toute notre vie était un seul aimer !
Et notre âme, limpide et calme comme l’onde,
Dans la joie et la paix réfléchissait le monde ;
Et les traits concentrés dans ce brillant milieu
Y formaient une image, et l’image était… Dieu !
Et cette idée, ainsi dans nos cœurs imprimée,
N’en jaillissait point tiède, inerte, inanimée,
Comme l’orbe éclatant du céleste soleil
Qui flotte terne et froid dans l’océan vermeil,
Mais vivante et brûlante, et consumant notre âme,
Comme sort du bûcher une odorante flamme !
Et nos cœurs embrasés en soupirs s’exhalaient,
Et nous voulions lui dire… et nos cœurs seuls parlaient.
Et qui m’eût dit alors qu’un jour la grande image
De ce Dieu pâlirait sous l’ombre du nuage,