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La nuit d’été, semblable à l’éternelle aurore,
Nous regardait d’en haut avec ses milliers d’yeux ;
Les étoiles, les fleurs que minuit fait éclore,
Naissaient sous notre doigt dans les jardins des cieux.

Le vaste pont roulait, charmant berceau de femmes :
On voyait pour dormir leur front se renverser,
Quand, sous leurs coudes blancs, le lit des grandes lames
S’enflait et se creusait, comme pour les bercer.

Le vent sonore et chaud qui soufflait des rivages,
Invisible contact de l’invisible amant,
Écartait les cheveux de ces pâles visages,
Que la lune baisait du haut du firmament.

Les unes retenaient leurs muettes haleines ;
Les autres, par des chants, cherchaient à s’assoupir ;
Les plus jeunes pleuraient d’ivresse, urnes trop pleines
Où la tendresse écume et déborde en soupir.

Parmi ce blond essaim de figures pensives,
Mes yeux en suivaient une, accoudée à l’écart,
Dont le front se marbrait de pâleurs fugitives,
Qui sondait plus d’espace et d’éther d’un regard.

L’extase contenue abaissait ses paupières
Sur ses yeux inondés de sa félicité ;
Ses lèvres semblaient dire au Dieu de ses prières :
« Ah ! fais-moi de cette heure une immortalité ! »