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Et pourtant il faut vivre encore,
Dormir, s’éveiller tour à tour,
Et traîner d’aurore en aurore
Ce fardeau renaissant du jour !
Quand on a bu jusqu’à la lie
La coupe écumante de vie,
Ah ! la briser serait un bien !
Espérer, attendre, c’est vivre !
Que sert de compter et de suivre
Des jours qui n’apportent plus rien ?

Voilà pourquoi mon âme est lasse
Du vide affreux qui la remplit ;
Pourquoi mon cœur change de place
Comme un malade dans son lit ;
Pourquoi mon errante pensée,
Comme une colombe blessée,
Ne se repose en aucun lieu ;
Pourquoi j’ai détourné la vue
De cette terre ingrate et nue,
Et j’ai dit à la fin : « Mon Dieu ! »

Comme un souffle d’un vent d’orage
Soulevant l’humble passereau,
L’emporte au-dessus du nuage,
Loin du toit qui fut son berceau ;
Sans même que son aile tremble,
L’aquilon le soutient ; il semble
Bercé sur les vagues des airs :
Ainsi cette seule pensée
Emporta mon âme oppressée
Jusqu’à la source des éclairs.