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V


Cependant j’avançais en âge, j’avais dix ans. Il fallait bien commencer à m’apprendre quelque chose de ce que savent les hommes. Ma mère n’instruisait que mon cœur et ne formait que mes sentiments. Il s’agissait d’apprendre le latin. Le vieux curé d’un village voisin (car la cure de Milly était vendue et l’église fermée) tenait une petite école pour les enfants de quelques paysans aisés. On m’y envoyait le matin. Je portais sur mon dos dans un sac un morceau de pain et quelques fruits pour déjeuner avec mes petits camarades. Je portais de plus sous mon bras, comme les autres, un petit fagot de bois ou de ceps de vigne, pour alimenter le feu du pauvre curé. Le village de Bussières, où il desservait une petite église, est situé à un quart de lieue du hameau de Milly, au fond d’une charmante vallée dominée d’un côté par des vignes et par des noyers sur des pelouses, s’étendant de l’autre sur de jolis prés qu’arrose un ruisseau et qu’entrecoupent de petits bois de chênes et des groupes de vieux châtaigniers. La cure avec son jardin, sa cour et son puits, était cachée au nord derrière les murs de l’église, et tout ensevelie dans l’ombre du large clocher.

Au midi seulement, une galerie extérieure de quelques pas de long, et dont le toit était supporté par des piliers de bois avec leur écorce, ouvrait sur la cuisine et sur une salle dont le vieillard avait fait notre salle d’étude. J’entends d’ici le bruit de nos petits sabots retentissant sur les marches de pierre qui montaient de la cour dans