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assidue pour l’appliquer aux indigents. Elle avait des vrais médecins le génie instinctif, le coup d’œil prompt, la main heureuse. Nous l’aidions dans ses visites quotidiennes. L’un de nous portait la charpie et l’huile aromatique pour les blessés, l’autre, les bandes de linge pour les compresses. Nous apprenions ainsi à n’avoir aucune de ces répugnances qui rendent plus tard l’homme faible devant la maladie, inutile a ceux qui souffrent, timide devant la mort. Elle ne nous écartait pas des plus affreux spectacles de la misère, de la douleur et même de l’agonie. Je l’ai vue souvent debout, assise ou à genoux au chevet de ces grabats des chaumières, ou dans les étables où les paysans couchent quand ils sont vieux et cassés, essuyer de ses mains la sueur froide des pauvres mourants, les retourner sous leurs couvertures, leur réciter les prières du dernier moment, et attendre patiemment des heures entières que leur âme eût passé à Dieu, au son de sa douce voix.

Elle faisait de nous aussi les ministres de ses aumônes. Nous étions sans cesse occupés, moi surtout, comme le plus grand, à porter au loin, dans les maisons isolées de la montagne, tantôt un peu de pain blanc pour les femmes en couches, tantôt une bouteille de vin vieux et des morceaux de sucre, tantôt un peu de bouillon pour les vieillards épuisés faute de nourriture. Ces petits messages étaient pour nous des plaisirs et des récompenses. Les paysans nous connaissaient à deux ou trois lieues a la ronde. Ils ne nous voyaient jamais passer sans nous appeler par nos noms d’enfant qui leur étaient familiers, sans nous prier d’entrer chez eux, d’y accepter un morceau de pain, de lard ou de fromage. Nous étions, pour tout le canton, les fils de la dame, les envoyés de bonnes nouvelles, les anges de secours pour toutes les misères