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Ainsi, quand un frugal repas, mais délicieux pour nous, était servi sur la table, notre mère, avant de s’asseoir et de rompre le pain, nous faisait un petit signe que nous comprenions. Nous suspendions une demi-minute l’impatience de notre appétit, pour prier Dieu de bénir la nourriture qu’il nous donnait. Après le repas et avant d’aller jouer, nous lui rendions grâce en quelques mots. Si nous partions pour une promenade lointaine et vivement désirée, par une belle matinée d’été, notre mère, en partant, nous faisait faire tout bas, et sans qu’on s’en aperçût, une courte invocation intérieure à Dieu, pour qu’il bénît cette grande joie et nous préservât de tout accident. Si la course nous conduisait devant quelque spectacle sublime ou gracieux de la nature, nouveau pour nous, dans quelque grande et sombre forêt de sapins où la solennité des ténèbres, les jaillissements de clarté à travers les rameaux, ébranlaient nos jeunes imaginations ; devant une belle nappe d’eau roulant en cascade et nous éblouissant d’écume, de mouvement et de bruit ; si un beau soleil couchant groupait sur la montagne des nuages d’une forme et d’un éclat inusités, et faisait en pénétrant sous l’horizon de magnifiques adieux à ce petit coin du globe qu’il venait d’illuminer, notre mère manquait rarement de profiter de la grandeur ou de la nouveauté de nos impressions pour nous faire élever notre âme à l’auteur de toutes ces merveilles, et pour nous mettre en communication avec lui par quelques soupirs lyriques de sa perpétuelle adoration.

Combien de fois, les sous d’été, en se promenant avec nous dans la campagne, où nous ramassions des fleurs, des insectes, des cailloux brillants dans le lit du ruisseau de Milly, ne nous faisait-elle pas asseoir à côté