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chair cuite, et il m’a toujours été difficile de ne pas voir dans l’état de boucher quelque chose de l’état de bourreau. Je ne vécus donc, jusqu’à douze ans, que de pain, de laitage, de légumes et de fruits. Ma santé n’en fut pas moins forte, mon développement moins rapide, et peut-être est-ce à ce régime que je dus cette pureté de traits, cette sensibilité exquise d’impressions et cette douceur sereine d’humeur et de caractère que je conservai jusqu’à cette époque.


IX


Quant aux sentiments et aux idées, ma mère en suivait le développement naturel chez moi en le dirigeant sans que je m’en aperçusse, et peut-être sans s’en apercevoir elle-même. Son système n’était point un art, c’était un amour. Voila pourquoi il était infaillible. Ce qui l’occupait par-dessus tout, c’était de tourner sans cesse mes pensées vers Dieu et de vivifier tellement ces pensées par la présence et par le sentiment continuels de Dieu dans mon âme, que ma religion devint un plaisir et ma foi un entretien avec l’invisible. Il était difficile qu’elle n’y réussit pas, car sa piété avait le caractère de tendresse comme toutes ses autres vertus.

Ma mère n’était pas précisément ce qu’on entend par une femme de génie dans ce siècle où les femmes se sont élevées à une si grande hauteur de pensée, de style et de talent dans tous les genres. Elle n’y prétendit même jamais. Elle n’exerçait pas son intelligence sur ces vastes sujets. Elle ne forçait pas par la réflexion les ressorts faciles et élastiques de sa souple imagination. Elle