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ouvrier, peu importe, il est ce qu’il doit être ; ce qu’il est est bien, et l’œuvre de sa mère est accomplie.

C’est d’après ce système qu’elle m’élevait. Mon éducation était une éducation philosophique de seconde main, une éducation philosophique corrigée et attendrie par la maternité.

Physiquement, cette éducation découlait beaucoup de Pythagore et de l’Émile. Ainsi, la plus grande simplicité de vêtements et la plus rigoureuse frugalité dans les aliments en faisaient la base. Ma mère était convaincue, et j’ai comme elle cette conviction, que tuer les animaux pour se nourrir de leur chair et de leur sang est une des infirmités de la condition humaine ; que c’est une de ces malédictions jetées sur l’homme, soit par sa chute, soit par l’endurcissement de sa propre perversité. Elle croyait, et je le crois comme elle, que ces habitudes d’endurcissement de cœur à l’égard des animaux les plus doux, nos compagnons, nos auxiliaires, nos frères en travail et même en affection ici-bas ; que ces immolations, ces appétits de sang, cette vue des chairs palpitantes, sont faits pour brutaliser et pour endurcir les instincts du cœur. Elle croyait, et je le crois aussi, que cette nourriture, bien plus succulente et bien plus énergique en apparence, contient en soi des principes irritants et putrides qui aigrissent le sang et abrégent les jours de l’homme. Elle citait, à l’appui de ces idées d’abstinence, les populations innombrables, douces, pieuses de l’Inde, qui s’interdisent tout ce qui a eu vie, et les races fortes et saines des peuples pasteurs, et même des populations laborieuses de nos campagnes qui travaillent le plus, qui vivent le plus innocemment et les plus longs jours, et qui ne mangent pas de viande dix fois dans leur vie. Elle ne m’en laissa jamais manger