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que je ne pus jamais apprendre par cœur ; les ouvrages de madame de Genlis ; ceux de Berquin, des morceaux de Fénelon et de Bernardin de Saint-Pierre, qui me ravissaient dès ce temps-la, la Jérusalem délivrée, Robinson, quelques tragédies de Voltaire, surtout Mérope, lue par mon père à la veillée : c’est la que je puisais, comme la plante dans le sol, les premiers sucs nourriciers de ma jeune intelligence. Mais je puisais surtout dans l’âme de ma mère ; je lisais à travers ses yeux, je sentais a travers ses impressions, j’aimais à travers son amour. Elle me traduisait tout : nature, sentiment, sensations, pensées. Sans elle, je n’aurais rien su épeler de la création que j’avais sous les yeux ; mais elle me mettait le doigt sur toute chose. Son âme était si lumineuse, si colorée et si chaude, qu’elle ne laissait de ténèbres et de froid sur rien. En me faisant peu à peu tout comprendre, elle me faisait en même temps tout aimer. En un mot, l’instruction insensible que je recevais n’était point une leçon : c’était l’action même de vivre, de penser et de sentir qui s'accomplissais sous ses yeux, avec elle, comme elle et par elle. C’est ainsi que mon cœur se formait en moi sur un modèle que je n“avais pas même la peine de regarder, tant il était confondu avec mon propre cœur.


VIII


Ma mère s’inquiétait très-peu de ce qu’on entend par instruction ; elle n’aspirait pas à faire de moi un enfant avancé pour son âge. Elle ne me provoquait pas à cette émulation qui n’est qu’une jalousie de l’orgueil des enfants. Elle ne me laissait comparer à personne ; elle ne