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écrire, et je leur demandais de m’aider à former mes lettres. Tout cela se faisait en jouant, aux moments perdus, sur les genoux, dans le jardin, au coin du feu du salon, avec des sourires, des badinages, des caresses. J’y prenais goût ; je provoquais moi-même les courtes et amusantes leçons. J’ai ainsi tout su, un peu plus tard, il est vrai, mais sans me souvenir comment j’ai appris, et sans qu’un sourcil se soit froncé pour me faire apprendre. J’avançais sans me sentir marcher. Ma pensée, toujours en communication avec celle de ma mère, se développait, pour ainsi dire, dans la sienne. Les autres mères ne portent que neuf mois leur enfant dans leur sein ; je puis dire que la mienne m’a porté douze ans dans le sien, et que j’ai vécu de sa vie morale comme j’avais vécu de sa vie physique dans ses flancs, jusqu’au moment où j’en fus arraché pour aller vivre de la vie putride ou tout au moins glaciale des collèges.

Je n’eus donc ni maître d’écriture, ni maître de lecture, ni maître de langues. Un voisin de mon père, M. Bruys de Vaudran, homme de talent retiré du monde, où il avait beaucoup vécu, venait nous voir une fois par semaine ; il me donnait d’une très-belle main des exemples d’écriture que je copiais seul et que je lui remettais à corriger à son retour. Le goût de la lecture m’avait pris de bonne heure. On avait peine at me trouver assez de livres appropriés à mon âge pour alimenter ma curiosité. Ces livres d’enfants ne me suffisaient déjà plus ; je regardais avec envie les volumes rangés sur quelques planches dans un petit cabinet du salon. Mais ma mère modérait chez moi cette impatience de connaître ; elle ne me livrait que peu à peu les livres, et avec intelligence. La Bible abrégée et épurée, les fables de La Fontaine, qui me paraissaient à la fois puériles, fausses et cruelles, et