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primitifs où Homère décrit le modeste enclos et les sept prairies du vieillard Laërte. Huit carrés de légumes coupés à angles droits, bordés d’arbres fruitiers et séparés par des allées d’herbes fourragères et de sable jaune ; à l’extrémité de ces allées, au nord, huit troncs tortueux de vieilles charmilles qui forment un ténébreux berceau sur un banc de bois ; un autre berceau plus petite au fond du jardin, tressé en vignes grimpantes de Judée sous deux cerisiers ; voila tout. J’oubliais, non pas la source murmurante, non pas même le puits aux pierres verdâtres et humides : il n’y a pas une goutte d’eau sur toute cette terre ; mais j’oubliais un petit réservoir creusé par mon père dans le rocher pour recueillir les ondées de pluie ; et autour de cette eau verte et stagnante douze sycomores et quelques platanes qui couvrent d’un peu d’ombre un coin du jardin derrière des murs, et qui sèment de leurs larges feuilles jaunies par l’été la nappe huileuse du bassin.

Oui, voila bien tout. Et c’est la pourtant ce qui a suffi pendant tant d’années à la jouissance, à la joie, à la rêverie, aux doux loisirs et au travail d’un père, d’une mère et de huit enfants ! Voila ce qui sufíit encore aujourd’hui à la nourriture de leurs souvenirs. Voilà l’Éden de leur enfance où se réfugient leurs plus sereines pensées quand elles veulent retrouver un peu de cette rosée du’matin de la vie, et un peu de cette lumière colorée de la première heure, qui ne brille pure et rayonnante pour l’homme que sur ces premiers sites de son berceau. Il n’y a pas un arbre, un œillet, une mousse de ce jardin, qui ne soit incrusté dans notre âme comme s’il en faisait partie ! Ce coin de terre nous semble immense, tant il contient pour nous de choses et de mémoires dans un si étroit espace. La pauvre