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un de ces gros rochers dont le sommet, un peu recourbé sur lui-même, dessine une demi-voûte et défend de la pluie quelques pieds de sable fin à sa base. Nous nous établissons là. Nous allons chercher à brassées des fagots de bruyères sèches et les branches mortes tombées des chãtaigniers pendant l’été. Nous battons le briquet. Nous allumons un de ces feux de berger si pittoresques à contempler de loin, du pied des collines ou du pont d’un vaisseau, quand on navigue en vue des terres.

Une petite flamme claire et ondoyante jaillit à travers les vagues noires, grises et bleues de la fumée du bois vert que le vent fouette comme une crinière de cheval échappé. Nous ouvrons nos sacs, nous en tirons le pain, le fromage, quelquefois les œufs durs, assaisonnés de gros grains de sel gris. Nous mangeons lentement, comme le troupeau rumine. Quelquefois l’un d’entre nous découvre à l’extrémité des branches d’un châtaignier des *gousses de châtaignes oubliées sur l’arbre après la récolte. Nous nous armons tous de nos frondes, nous lançons avec adresse une nuée de pierres qui détachent le fruit de l’écorce entr’ouverte et le font tomber à nos pieds :

Nous le faisons cuire sous la cendre de notre foyer, et si quelqu’un de nous vient à déterrer de plus quelques pommes de terre oubliées dans la glèbe d’un champ retourné, il nous les apporte, nous les recouvrons de cendres et de charbons, et nous les dévorons toutes fumantes, assaisonnées de l’orgueil de la découverte et du charme du larcin.

A midi on rassemble de nouveau les chèvres et les vaches couchées déjà depuis longtemps au soleil sur la grasse litière des feuilles mortes et des genêts. A