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de la chambre, une petite table à jeu avec un tapis vert tout tigré de taches d’encre et de trous dans l’étoffe ; sur la table, deux chandelles de suif qui brûlent dans deux chandeliers de cuivre argenté, et qui jettent un peu de lueur et de grandes ombres agitées par l’air sur les murs blanchis de l’appartement.

En face de la cheminée, le coude appuyé sur la table, un homme assis tient un livre à la main. Sa taille est élevée, ses membres robustes. Il a encore toute la vigueur de la jeunesse. Son front est ouvert, son œil bleu ; son sourire ferme et gracieux laisse voir des dents éclatantes. Quelques restes de son costume, sa coiffure surtout et une certaine roideur militaire de l’attitude attestent l’officier retiré. Si on en doutait, on n’aurait qu’a regarder son sabre, ses pistolets d’ordonnance, son casque et les plaques dorées des brides de son cheval qui brillent suspendus par un clou à la muraille, au fond d’un petit cabinet ouvert sur la chambre. Cet homme, c’est notre père.

Sur un canapé de paille tressée est assise, dans l’angle que forment la cheminée et le mur de l’alcôve, une femme qui paraît encore très-jeune, bien qu’elle touche déjà à trente-cinq ans. Sa taille, élevée aussi, à toute la souplesse et toute l’élégance de celle d’une jeune fille. Ses traits sont si délicats, ses yeux noirs ont un regard si Candide et si pénétrant ; sa peau transparente laisse tellement apercevoir sous son tissu un peu pâle le bleu des veines et la mobile rougeur de ses moindres émotions ; ses cheveux très-noirs, mais très-fins, tombent avec tant d’ondoiements et des courbes si soyeuses le long de ses joues, jusque sur ses épaules, qu’il est impossible de dire si elle a dix-huit ou trente ans. Personne ne voudrait effacer de son âge une de ses