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la résistance, qui prévient les rivalités, qui fait aimer la discipline, parce qu’on aime celle qui l’impose. Ancienne amie de mon oncle, aimée de toute la famille, sensible, active, désintéressée, intercédant tour à tour pour tous, encore agréable de figure sous le costume modeste, propre, demi-mondain, demi-monastique qui en faisait la sœur-grise de ce couvent rural. Elle me traitait comme l’héritier futur de ces domaines ; elle me gâtait comme l’enfant souvent prodigue du château. Elle me préparait la chambre la plus riante ; elle faisait acheter pour mon arrivée, par mon oncle, les meilleurs chiens de chasse et le plus joli cheval qu’on pouvait trouver dans ces montagnes. Elle vit encore et m’écrit de temps en temps, quand mon nom lui est reporté en bien ou en mal par quelque contre-coup de la destinée. C’est une heureuse idée de donner ainsi, sur une nombreuse maison, le gouvernement domestique aux femmes. Leur voix douce tempère le commandement par l’affection ; leur main faible laisse un peu flotter l’autorité et prévient ainsi les révoltes et les résistances. On résiste il ce qui impose, rarement à ce qui inspire. La gouvernante de maison, quand il n’y a pas de mère de famille, est une idée de génie comme tous les instincts.

Mon oncle était le plus aimant, le plus tendre de cœur et le plus facile d’l1umeur de tous les membres de la famille. Il ne savait ni vouloir, ni résister, ni commander ; il ne savait que plaire et complaire. Il se déchargeait de tout sur mon père ou sur madame Royer, son premier ministre. Il m’aimait avec la tendresse d’un ami, plus qu’avec la sévère autorité d’un oncle. Je lui rendais cette tendresse de prédilection. La bonté a toujours été pour moi un irrésistible aimant ; tous les autres mérites de l’homme ou de la femme s’effacent devant