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j’écrivis la méditation à lord Byron, dont les poésies étaient venues en fragments traduits de journaux en journaux jusqu’à Milly. C’est dans le même automne aussi que j’écrivis sept ou huit méditations. Quand mon père, qui aimait beaucoup les vers, mais qui n’avait jamais compris d’autre poésie que celle de Boileau, de Racine et de Voltaire, entendit ces notes si étranges à des oreilles bien disciplinées, il s’étonna et se consulta longtemps lui-même pour savoir s’il devait approuver ou blâmer les vers de son fils. Il était de sa nature hardi de cœur et d’esprit ; il craignait toujours que la prédilection paternelle et l’amour-propre de famille n’altérassent son jugement sur tout ce qui le touchait de près. Cependant, après avoir écouté la méditation de Lord Byron et la méditation du Vallon, un soir, au coin du feu de Milly, il sentit ses yeux humides et son cœur un peu gonflé de joie. « Je ne sais pas si c’est beau, me dit-il, je n’ai jamais rien entendu de ce genre ; je ne puis pas juger, car je ne puis comparer ; mais je puis te dire que cela me remplit l’oreille et que cela me trouble le cœur. » Insensiblement, il s’habitua à ces cordes nouvelles de la poésie moderne, car il était trop sincère pour se faire des systèmes contre ses impressions. Chaque fois que j’avais écrit quelques-unes de ces Méditations ou de ces Harmonies, dont je n’ai imprimé que l’élite, je lui lisais les fragments dont j’étais le moins mécontent, et qui ne lui révélaient pas les plaies trop saignantes de mon cœur ; car ce qui était tout à fait cri de l’âme de moi aux morts, ou de moi à Dieu, je l’ai rarement achevé, et je ne l’ai jamais publié. Quoique le public soit un être abstrait devant lequel on ne rougit pas comme devant un ami ou un père, il y a cependant toujours sur l’âme une atmosphère de pudeur, un dernier pli du voile qu’on ne lève pas tout entier.