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principes d’une révolution qu’il aimait comme réforme, mais qu’il maudissait comme excès et bouleversement. Elle lui avait enlevé la brillante existence qu’il s’était faite à Paris comme secrétaire général de M. de Villedeuil. Oisif à Bussières et n’ayant sauvé du naufrage de sa fortune que ses livres, il avait été autrefois mon maître d’écriture. Je devais à sa complaisance ce don de tracer lisiblement la pensée, et même d’imprimer aux traits de la plume quelque sentiment extérieur de la netteté et de la lumière de l’esprit. Je pense à sa main qui guidait la mienne chaque fois que je trace une ligne un peu harmonieuse à l’œil sur le papier.


XLV


l’accompagnais souvent ma mère dans toutes ces maisons du voisinage ; mais la mélancolie secrète dans laquelle j’étais plongé ne me laissait plus jouir, comme autrefois, du charme de ces douces sociétés.

Je préférais l’intimité recueillie du pauvre curé de Bussières, dont j’ai raconté l’histoire dans les Confidences ; je me liais de jour en jour davantage avec lui. Il n’y a pas d’attrait plus puissant pour deux âmes qui ont souffert qu’une conformité de tristesse. Je passais tous les jours une ou deux heures dans son jardin ; le reste du temps j’errais sur les bruyères de notre montagne ou sous les saules de nos prés. Je commençais à reprendre assez d’élasticité intérieure dans l’air des champs, pour soulever par l’inspiration poétique mon cœur si chargé de souvenirs, et pour exprimer en vers ébauchés les impressions qui m’assiégeaient. C’est à cette époque que