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XLIV


Une autre famille du voisinage, plus rapprochée, vivait en grande intimité avec la nôtre : c’était la famille Bruys, dont un de ses membres avait illustré jadis le nom dans les lettres, et d’où sort le jeune poëte Léon Bruys, à qui j’ai récemment dédié la préface des Recueillements. La réalité se plaît quelquefois à construire des familles que le roman n’oserait pas inventer. Telle était celle-ci, mêlée à la nôtre par tant de voisinages, de rapports héréditaires et d’amitiés, qu’elle en fait a mes yeux partie dans ma mémoire. Elle habitait une jolie petite maison bourgeoise sous le village de Bussières, paroisse de Milly, sur le bord du grand chemin qui mène des montagnes à la Saône. La maison est antique ; il y a encore à la porte, sur le chemin, un escalier de trois marches en pierre de taille, surmonté d’une large dalle qui servait autrefois ãt élever les dames et les demoiselles à la hauteur de la selle du cheval ou du mulet, seul véhicule des femmes avant que les voitures pussent circuler dans les gorges de nos vallées. Des prés arrosés d’une jolie rivière et bordés d’un petit bois s’avancent jusque sous les fenêtres de la maison, du côté opposé à la grande route ; un large perron à double degré descend sur un jardin en terrasse. On sent l’aisance antique d’une maison riche sous la simplicité de cet aspect.

La famille, dans mon enfance, se composait du père, ancien fermier principal de l’abbaye de Cluny, dans son costume austère et rural de chef d’immense culture, — habit de gros drap blanc à longue laine, et larges pans, et