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encore aujourd’hui les chemins creux des prairies de Mâcon, entre le joli village de Saint-Clément et la Saône, entendirent longtemps notre entretien, qui se prolongeait avec une surprise et un charme mutuels. Nous nous séparâmes ce soir-la, et, sans nous être donné de rendez-vous, nous nous y retrouvâmes le lendemain, et souvent ensuite aux mêmes heures. N’ayant aucune occasion de nous rencontrer dans les salons, nous prîmes pour salon cette riante nature. Nous descendions et nous remontions nonchalamment le cours de la Saône, aussi paresseux que nos pas, aussi rêveur que nos imaginations, aussi murmurant que nos lèvres. En quelques jours nous étions liés, en quelques années nous fûmes amis. Les années et les années coulèrent ensuite sur notre amitié comme l’eau de la pluie sur les vieux murs, en consolidant leur ciment, en les revêtant de mousses et de lierres qui parent leur vétusté. Souvent absent de ce pays de ma naissance, même après que la mort y avait desséché toutes mes racines de famille, je savais que quelqu’un attendait mon retour, suivait de l’œil mes vicissitudes, combattait du cœur les envies, les haines, les calomnies, qui rampent sur le sol de notre berceau, hélas ! comme autour de la pierre de nos tombes, et prenait pour lui en joie tout ce qu’il y avait d’heureux dans ma vie, en douleur tout ce qu’il y avait de triste.

Une dernière fois je suis revenu à Mâcon ; il n’y était plus ! Mon nom, associé aux noms de sa femme et de ses deux enfants, avait été mêlé sur ses lèvres à ses derniers soupirs. Pendant que la mort m’enlevait ainsi un de mes derniers amis sur mon sol natal, l’adversité déracinait du sable des cœurs faibles les amitiés sur lesquelles je devais compter.